Afin de prendre en compte les nouvelles réalités du marché du travail en Europe, les pays européens ont engagé une modernisation de la directive 96/71/CE datant du 16 décembre 1996 pour l’adapter à ces nouvelles réalités.
Après un long processus législatif qui a commencé en 2016, la nouvelle directive (UE) 2018/957 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services a été approuvée le 28 juin 2018 par le parlement Européen.
Elle entrera en vigueur le 30 juillet 2020, date limite avant laquelle les États membres devront adopter et publier les dispositions légales, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive.
I. RÉGIME ANTÉRIEUR
La directive de 1996 concernant le détachement de travailleurs permet à toute entreprise ayant son siège dans un pays de l’UE d’envoyer temporairement ses salariés dans un autre État membre.
Ces travailleurs détachés bénéficient des conditions de travail du pays d’accueil tandis que les charges sociales restent celles du pays d’origine.
La directive assure aux travailleurs détachés un « noyau dur de droits » de l’État membre qui les accueille en ce qui concerne :
- les taux de salaire minimal ;
- les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;
- la période minimale de congé annuel payé ;
- les conditions de mise à disposition de travailleurs par l’intermédiaire d’entreprises de travail intérimaire ;
- la santé, la sécurité et l’hygiène au travail ;
- l’égalité de traitement entre hommes et femmes.
II. NÉCESSITÉ DE LA RÉFORME :
Bien que la directive énonce une série de règles obligatoires concernant les conditions de travail et d’emploi applicables aux travailleurs détachés, les différences de salaires entre les pays continuent de conférer un avantage de coût au bénéfice des entreprises détachant des travailleurs par rapport aux entreprises locales et d’engendrer des formes de « dumping social ».
Le «dumping social» est caractérisé par l’offre d’un prestataire de services étranger à des tarifs inférieurs à ceux des prestataires locaux, en appliquant des normes de travail moins rigoureuses.
Les travailleurs détachés sont rémunérés le plus souvent sur la base du salaire minimum du pays d’accueil et les charges sociales restent celles de leur pays d’origine.
Parmi les problèmes fréquemment évoqués peut être aussi citée la lutte contre les infractions pratiquées par certains employeurs, au regard du droit du pays d’accueil. Constituent des exemples d’infraction les heures supplémentaires non rémunérées, le travail le samedi et le dimanche, ou la non-intégration des frais de transport et d’hébergement au salaire.
Il existe aussi de nombreuses pratiques de faux détachement, assimilables à du travail illégal.
Ces faux détachements sont effectués à partir d’établissements « boîte à lettres », créés par les entreprises d’un État membre dans un autre État membre ayant des taux de cotisations sociales plus faibles, sans que ces entreprises exercent une activité réelle et cela afin de justifier le détachement de travailleurs recrutés dans cet autre État.
L’objectif de la réforme est d’éliminer la concurrence déloyale et d’encourager une concurrence basée sur la spécialisation, l’innovation et les compétences des entreprises menant ainsi à un marché du travail européen plus équitable.
Elle vise à assurer des conditions de travail justes aux travailleurs détachés et à éviter la concurrence loyale entre les entreprises qui sont prestataires de services et les entreprises locales du pays d’accueil.
III. RÉFORME :
La proposition de réforme initiée par la Commission européenne en 2016 visait de modifier la directive existante dans trois domaines : la rémunération des travailleurs détachés (« à travail égal, rémunération égale »), les règles entourant le travail détaché des intérimaires (mêmes conditions qu’un travailleur local pour un travailleur détaché par une agence d’intérim transfrontalière) et le détachement à long terme (limitation de la durée du détachement).
Les éléments de la réforme qui ont été adoptés sont les suivants :
- La reconnaissance du principe « à travail égal, rémunération égale, sur un même lieu de travail ».
Les travailleurs détachés bénéficieront de manière générale des mêmes règles en matière de conditions de rémunération et de travail que les travailleurs locaux.
Désormais, toutes les règles relatives à la rémunération qui sont d’application générale aux travailleurs locaux devront être également appliquées aux travailleurs détachés.
La rémunération devra comprendre aussi d’autres éléments, tels que les primes ou les indemnités le cas échéant.
- L’application de la réglementation nationale concernant le travail intérimaire lorsque des entreprises de travail intérimaire établies à l’étranger détachent des travailleurs.
- En cas de détachement d’une durée dépassant 12 mois (ou 18 mois en cas d’extension autorisée), les entreprises doivent non seulement garantir le « noyau dur de droits » garantis par la directive, mais aussi toutes les règles de travail de l’Etat membre d’accueil. Sont exclues de cette obligation les lois régulant la conclusion et la résiliation du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence et la retraite.
- L’exclusion du secteur des transports routiers du champ d’application de la directive jusqu’à l’élaboration d’un texte légal spécifique régissant ce secteur.
- La limitation à 2 ans de la durée de transposition de la révision de la directive par chaque État membre.
IV. LIMITES DE LA NOUVELLE DIRECTIVE :
Il est généralement admis que l’impact économique de la directive restera limité.
En effet, plusieurs pays de l’UE avaient déjà transposé des règles nationales plus protectrices par rapport à la directive de 1996 pour les travailleurs détachés et la nouvelle directive ne présentera pas un grand changement pour eux.
De plus, certaines modifications telles que les règles qui s’appliquent aux détachements qui durent plus de 12 mois (avec une possible extension de 6 mois suite à une demande de l’entreprise) sont jugées symboliques étant donné que la durée moyenne de détachement est de 4 mois.
Le secteur du transport routier, pourtant jugé fortement marqué par des distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne, celui-ci a été découplé de la révision de la directive sur les travailleurs détachés.
L’Espagne, le Portugal et les pays d’Europe de l’Est comptent parmi les pays qui ont soutenu la désolidarisation.
Ce découplement signifie que la nouvelle directive ne s’appliquera au secteur du transport qu’à partir de la date d’une modification à intervenir en 2019 de la directive 2006/22/CE concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier. Cette directive modifiée listera les règles spécifiques pour le détachement de conducteurs routiers.
Ce secteur est en effet considéré ne pas répondre aux mêmes règles de détachement que les autres secteurs en raison de la forte mobilité des travailleurs.
La concurrence déloyale dans ce secteur émane des transporteurs des pays de l’Est travaillant dans les pays de l’Ouest sous les conditions de leur pays d’origine et des entreprises de pays de l’Ouest s’implantant dans des pays de l’Est via des « sociétés boîtes aux lettres ».
Les discussions tournent spécifiquement autour de la question du cabotage, pratique qui consiste à charger puis décharger à plusieurs reprises hors de la frontière du travailleur : la Commission envisage de considérer les chauffeurs comme des travailleurs détachés, bénéficiant d’un salaire local, à partir de trois jours de travail par mois dans un pays alors que la France entend défendre la mise en place du salaire local dès le premier jour.
Des pays comme la Bulgarie s’y opposent et soutiennent que les travailleurs du transport routier ne devraient pas être traités comme des travailleurs détachés.